Quelques bouts de texte pour aider une amie à surmonter son arachnophobie.
Il n'avait jamais dit à personne ce qu'il avait vu ce soir là, devant le moulin desaffecté depuis de longues années. Morcus était tout de même bien embêté par sa découverte. Pensez-vous ! Une Lycosa Narbonensis portant sa progeniture ! Il avait beau être lui-même une araignée errante, il détestait être dans les parages d'une femelle. Brr, il se rappelait encore la poussée de soie qu'avaient eue ses filières au spectacle de ce prédateur. Heureusement qu'il était doté de bons yeux et l'avait vue de loin ! La garce devait bien faire ses vingt cinq millimètres et la quantité proprement ahurissante de petits accrochés sur son dos la rendait aussi visible qu'une de ces frimeuses d'araignées orbitèles en plein ciel.
Accroché sur la paroi d'un rocher idéalement placé, Morcus se disait qu'il s'était rarement trouvé en un lieu aussi malsain. D'abord les orbitèles qui vivaient dans le coin étaient pratiquement toutes des Agelenas vivant en couple. Leurs discussions de toile à toile étaient d'un ennui mortel. Des scènes de ménage toutes les heures, des disputes sur les proies, sur les oeufs pas assez bien surveillés... Morcus trouvait vraiment cette manie de vivre en communauté ridicule. Rien ne valait une rencontre fortuite, joyeuse et brève entre deux partenaires qui ne se connaissaient pas !
Le second problème de ce moulin, c’était que les lézards pullulaient. Plus d'une fois il avait manqué finir boulotté par un de ces détestables tas de viande molle cette semaine.
Non vraiment il fallait qu'il déguerpisse vite fait du coin.
Enfin, dès qu'il aurait épuisé le potentiel de rencontres amoureuses du quartier.
Ca risquait de prendre encore une ou deux semaines.
Sans compter les petites jeunes nées tard dans l'été.
Disons trois semaines.
Ou quatre.
Tout en surveillant ses arrières du coin de ses yeux antérieurs, Morcus écoutait les phéromones qui circulaient de toile en toile.
Agitées par de légères bourrasques, les oeuvres du jour offraient un tableau sympathique, et les congratulations mutuelles allaient bon train.
-Vous trouvez vraiment ?
-Je vous assure, monsieur, vous avez su exploiter ces branches avec brio !
Curieux, Morcus jeta un rapide coup d'oeil sur la toile. C'était du bon boulot mais ça manquait tout de même de régularité. Il accommoda sa vision sur le propriétaire. Planqué sous sa toile, céphalothorax clair avec une bande médiane, Morcus reconnut immédiatement ce bon vieux Theridio. Ainsi il sut qu'il était déjà passé dans le coin... à moins qu'un accident de toile n’ait contraint Theridio à voyager un peu.
- Je vous remercie, madame pour ces compliments qui me vont droit au cribellum. Votre style n'est pas sans m'émouvoir non plus.
- Oh n'en dites pas plus ! Vous allez me faire faire de la soie...
Morcus se concentra à nouveau sur le petit grillon qui se trouvait non loin du rocher. Même si cela lui faisait plaisir de savoir que Theridio arrivait à impressionner quelqu'un avec ses toiles ridicules, il ne devait pas oublier son repas.
Le saut fut parfait et Morcus réussi à atterrir exactement sur le dos de l'insecte. L'affaire fut promptement menée et il réussit à planter ses crocs du premier coup. La proie devint rapidement amorphe et finit par ne plus bouger.
Se frottant les chélicères de délice, Morcus injecta un peu plus de suc digestif dans son nouveau panier-repas. Il avait très faim et n'avait pas l'intention d'attendre indéfiniment !
Une fois rassasié, Il planqua les restes de sa proie soigneusement enrobée. Il accrocha la lourde charge avec un petit fil au bord d'un trou en train de se remplir d'eau, derrière un caillou. Un endroit sûr et facile à retrouver se dit-il, optimiste.
Il allait entamer tranquillement l'ascension de son rocher de l'après-midi quand il devina un mouvement rapide derrière lui. Instinctivement, il accéléra l'allure pour se mettre à l'abri.
L'attaque fut terrifiante. La Lycosa devait avoir vraiment faim car dans sa précipitation elle avait bougé un peu trop tôt, éveillant la méfiance de Morcus. Pas assez cependant, car, se jetant sur lui, elle parvint tout de même à lui crocheter une patte. Morcus tenta de se soustraire à la poigne de la maman monstrueusement plus grande que lui mais ne put rien faire. Il perdit son calme quand il senti qu'elle passait au-dessus de lui pour mieux planter ses crocs. Totalement désespéré, il laissa sa patte prisonnière tomber, se précipita hors de l'ombre de la prédatrice et sauta le plus loin possible. Il s'accrocha de justesse à une herbe pour ne pas s'écraser au sol et regarda avec anxiété vers son agresseur.
A sa recherche, elle agitait ses poils sensoriels. Rapidement, elle trouva le fil de sécurité que Morcus avait attaché par réflexe juste avant son bond salvateur. Elle commença à le remonter rapidement. Morcus n'en revenait pas de la taille de cette femelle, dont le dos grouillait de petits. Elle le cherchait encore des yeux quand il fila sans demander son reste. Par expérience, il savait qu'elle allait suivre ses phéromones pendant un certain temps. Il ne s'arrêta donc pas saluer Araniella, qui avait encore perché sa toile à des hauteurs hallucinantes, et se faufila entres les buissons pour trouver refuge sous une feuille épaisse. Là, enfin hors de danger, il vécut un de ces moments détestables qu'il connaissait si bien où il se figeait, le corps complètement bloqué par le stress et l'inquiétude.
Une fois complètement remis de ses émotions, il envisagea la possibilité que sa patte ne repousse pas à la prochaine mue et s'ausculta brièvement. Malgré la brutalité de l’opération, l'autotomie qu'il avait pratiquée s'était bien passée et il ne perdait pas de fluide vital. La perte de cette patte ne serait qu'une gêne passagère. Rassuré, il se nettoya les yeux et tacha de se repérer. Il existait beaucoup de moyens pour une araignée de mourir si elle s'égarait au mauvais endroit. Morcus se prit à espérer de tout coeur que la Lycosa allait s’en trouver un particulièrement désagréable. Peut être une grosse chauve-souris ? Non, mieux, une de ces larves de guêpe qui vous ronge petit à petit. Malheureusement il n'y avait pas grand espoir que voir ce souhait se réaliser.
Tricotant vivement des pattes et parfois sautant, Morcus progressa rapidement. Les alentours du moulin lui étaient familiers et il prenait un plaisir inattendu à se retrouver en territoire connu.
Le soleil était déjà haut dans le ciel quand Morcus parvint à sa destination : le vieux chêne mort
Un bel éventail de toiles décorait l'arbre, lui rendant presque l'illusion de vie. On pouvait percevoir le bourdonnement de nombreuses mouches grasses aux alentours. Peut-être qu'un de ces horribles mammifères était mort pas loin. Ca présageait de nombreux jours de festivités !
La majeure partie de l'énergie d'une araignée, une fois passé la crainte de ne pas manger ou de se faire dévorer est celle de la reproduction. A la belle époque, durant les longues heures de jour, alors que l'on attend paresseusement qu'un insecte croquant vienne agrémenter la décoration du garde-manger, on peut accessoirement prévoir avec ses voisines de faire un concours de toile le lendemain. En général ce genre de loisir tourne au désavantage des mouches.
Manifestement cela devait faire plusieurs jours que tout le monde était repu car les toiles étaient toutes d'une taille respectable et ornées de multiples trophées capturés.
S'arrêtant un instant pour apprécier le spectacle, Morcus ignora la grande majorité des toiles pour se diriger vers le fleuron de celles-ci.
La plupart des joutes phéromonales qui se déroulaient toute la journée portaient sur les vingt premières places. Les différents participants vantaient la qualité de leur toile et accessoirement la vigueur de leur venin pour les mauvais perdants exclus par les autres. La blancheur était une première catégorie jouée le matin, quand le soleil n'était pas trop fort et la encore rosée fraîche. En milieu de journée on se congratulait mutuellement sur l'efficacité des structures à capturer des insectes. Le soir était dédié à une compétition d'endurance. Seules les toiles encore entières pouvaient participer.
Il y avait une catégorie pour laquelle le concours ne prêtait pas à confusion. Et ceci tout le long de la journée. Aranella tissait systématiquement les plus grandes toiles Cette fille-là était hors concours. De longs câbles gracieusement disposés avec une régularité métronomique, une couleur d'un jaune vigoureux. La grande classe. Morcus resta admiratif encore une fois devant le travail colossal quotidien accompli. Il salua la belle.
- Félicitation, Ara, tu as encore ridiculisé tout le monde avec une aisance digne d'une grand-mère !
Fière de son ouvrage, elle se montra des plus courtoises.
- Viens donc voir de plus près mon ami sauteur, je te montrerais tout le panel de soies que je sais filer.
- Non merci ma chère ! Je connais trop bien ton appétit en cette saison ! Dis-moi plutôt où est ton mâle si tu ne l'as pas mangé ?
Sans changer de position l'exposante changea de ton.
- Tu parles du voyou qui me tourne autour depuis le début de l'été ? Il doit être à deux toiles d’ici. Ah tiens non, c'est mon voisin aujourd'hui ! Je ne l'avais même pas vu, le moucheron.
Morcus se dirigea vers celui-ci pour lui présenter ses respects.
- Hello Aranus ! Ta belle a encore fait une toile imposante !
Surpris en plein travail d'enrobage, l'autre ne pris pas la peine de relever la moquerie, et lui répliqua :
- Tu es encore à courir après les femelles et tout ce qui se saute dessus, gros yeux ? Tu vas finir par y perdre toutes tes pattes !
Morcus se frotta les yeux de gêne.
- C'est une Pisora qui a failli me croquer !
Finissant son travail en injectant une généreuse dose de venin à la mouche encoconnée, Aranus aquiesca.
- J'ai entendu parler de ça. Une méditerranéenne qui serait remontée aussi haut au nord ? J'ai du mal à y croire !
- Dos brun, ventre noir et bords rouges c'est bien une Pisora. Recouverte d'un duvet épais de petits qui plus est !
- Ca doit être gênant à porter quand même. Pronostiqua Aranus. Je suppose que tu viens me demander comment se débarrasser de cette vilaine gourmande ?
- Exactement ! Je déteste perdre une patte en pleine saison d'amour. Mes danses de séduction sont beaucoup moins réussies et il faut que je mange comme quatre pour muer plus vite.
- Je pense avoir une idée mais d'abord parles-moi de l'adorable abdomen de ma promise. Sa jolie croix qu'elle a dessus n'est pas déformée par une grossesse précoce au moins ? J’espère que j'ai encore toutes mes chances !
Tandis que Aranus collectionnait les proies sur sa toile d’au moins trente centimètres de diamètre ils eurent une longue conversation sur l'esthétique arachnéenne, puis sur le meilleur moyen de se débarrasser d'une prédatrice de plus de 25 millimètres. Pour finir ils se saluèrent et se souhaitèrent une bonne chasse.
Les préparatifs prirent à Morcus plus de temps que prévu. Au point qu’il craignit un instant de devoir attendre le lendemain pour exercer sa vengeance.
Il vadrouillait dans le territoire de chasse de la Lycosa quand celle-ci tenta de le happer encore une fois. Attentif, Morcus bondit en laissant derrière lui un long fil de soie. Rapidement La chasseresse suivit l’indice laissé mais il avait déjà changé de place. Ils avancèrent sur un bon mètre ainsi. Morcus s’épuisait vite. Il consommait beaucoup de soie et d’énergie à fuir la vorace. Bientôt il n’échappa plus que par chance aux crochets mortels. Vite à court d’énergie il n’eut plus que le recours de se retourner brusquement et de lui sauter sur le dos. Rapidement il sentit des centaines de pattes minuscules le parcourir. La sensation était écoeurante. Le seul réconfort qu’il avait était de savoir que la Lycosa sentait ses pattes à lui sur son céphalothorax. Il dansèrent ensemble une mortelle danse durant quelques instants.
Ce fut quand Morcus se fit renverser par terre que vint. son salut
Son adversaire était montée sur un léger tapis de soie. Un tapis de soie fait par une Atypida. Avec cette dernière dessous.
La Lycosa fut littéralement éventrée par les crochets impressionnants de la mygale qui sans délicatesse avait transpercé sa toile pour atteindre l’intrus.
Grignotant les petits qui étaient restés sur lui, Morcus apprécia le spectacle de la dépouille de sa tortionnaire peu a peu attirée dans le terrier. Un peu amers, ils avaient tout de même un goût de reviens-y qui le poussa a en débusquer quelques uns sous des brindilles.
Somme toute content de sa journée, il s’éloigna en évitant soigneusement les nombreux terriers qui parsemaient ce coté là du chêne mort. Décidément il devait un fier service à Aranus.